Autisme : deux poids, deux mesures

Je vais vous parler, à reculons parce que ça me fait mal à l’âme, de cette attitude déplorable qui est trop fréquente dans le monde de l’autisme et du handicap en général : la déshumanisation.

J’entends déjà les protestations qui s’élèvent. «Non, tu exagères, personne ne fait ça!» «Je suis intervenante et j’aime de tout mon cœur les enfants avec qui je travaille!» «Personne ne déshumanise les autistes, voyons, c’est impossible!»

Et cet aveuglement fait partie du problème, cette tendance à voir tout en rose. Alors tentons de voir plus clair.

Il y a en ce moment dans les réseaux autistes anglophones un mouvement d’indignation qui s’élève en écho à un article publié par Autism Daily Newscast. Cet article fait l’apologie de l’intimidation dans le milieu scolaire. Voici le lien, dûment filtré par le site Do Not Link: http://www.donotlink.com/framed?793280

En gros, l’article nous présente une liste des avantages de l’intimidation (oui, vous avez bien lu) pour les enfants autistes et leur entourage. Par exemple, on dira que l’intimidation aide l’enfant autiste à développer des habiletés sociales, à développer sa communication et à se faire des amis, qu’elle permet de sensibiliser l’école et la communauté à l’autisme, qu’elle est une occasion pour l’école et les intervenants de développer leur esprit d’équipe. Je me passe de vous expliquer le non-sens de cette approche.

Banaliser l’intimidation est malsain. N’est-ce pas? N’est-ce pas?

Mais dans le cas des autistes, on pourrait y voir des avantages?

C’est malheureusement trop souvent le cas qu’on se permet d’imaginer que des mauvais traitements pourraient être bénéfiques à un enfant handicapé. Par exemple, soumettre un enfant à 40 heures de travail acharné par semaine, dans le but de changer ses comportements pour les rendre plus normaux. En effet, les lignes directrices de la méthode ABA recommandent de 25 à 40 heures de «traitements» par semaine.

Là, il faut mettre de côté les théories et les techniques, et réfléchir. Soumettre un enfant à 40 heures de travail acharné par semaine? Dans quel univers serait-ce acceptable?

Et quelle est la réponse habituelle? C’est «Ah, mais vous savez, c’est pour son bien!» ou «Un enfant autiste, ce n’est pas pareil, ils sont très résistants à l’apprentissage, vous savez», ou encore «Des études ont démontré que c’est efficace»…

Non. Soumettre un enfant à des mauvais traitements n’est jamais acceptable.

Fait non négligeable, l’auteure de cet article haineux qui glorifie l’intimidation est une orthophoniste spécialisée en ABA. Corrélation? Peut-être. Mais c’est surtout un exemple lourd de cette attitude «deux poids, deux mesures»: si on le fait à un enfant autiste, ce n’est pas grave. L’empêcher de bouger, d’aller aux toilettes ou de manger? Il est autiste, alors ce n’est pas grave. Ça lui fait du bien, il en a besoin pour apprendre.

Avant de soumettre un enfant à des traitements qui le traumatisent (et non, ce n’est pas l’autisme qui traumatise un enfant autiste, c’est la façon dont on le traite), avant de permettre que commencent ou que continuent des comportements déshumanisants envers des enfants ou des adultes, stop. La petite voix qui vous fait hésiter, qui vous met un doute, écoutez-la. C’est la voix de la raison et de l’humanité.

Les autistes sont des personnes à part entière, à qui on ne doit pas infliger de traitements qui les feront souffrir à moins de raisons médicales pour assurer leur bien-être physique ou leur survie. Aucune souffrance qui serait impensable pour un enfant ordinaire ne doit être imposée à un enfant handicapé, y compris un enfant autiste. Aucune.

Avant d’exposer un enfant, peu importe sa neurologie, à quelque situation que ce soit, posez-vous cette simple question : est-ce que j’accepterais qu’on me traite ainsi? Est-ce que c’est humain?

Si un autre argument était nécessaire, j’ajouterais ceci : les enfants autistes sont plus sensibles physiquement et émotionnellement, et moins capables de comprendre ce qui leur arrive, d’exprimer leur souffrance et de se défendre en raison des difficultés de communication qu’ils connaissent. Par conséquent, la cruauté envers les enfants autistes n’est non seulement pas plus acceptable qu’envers les autres enfants, elle est décuplée.

Les résultats réels de l’intimidation pour tous les enfants, que ce soit par les pairs ou par des adultes, sont le syndrome post-traumatique, des problèmes d’attachement, des difficultés de communication, l’anxiété, la dépression et un risque accru de continuer d’être la cible de violence après l’enfance.

Il n’y a jamais de bonne raison de maltraiter un enfant.

Les imprévus et les non-dits : ma kryptonite

Quand il y a de l’émotion dans l’air, je le sens.

Je ne comprends pas toujours quelle est la source de cette tension émotionnelle. Et quand c’est une émotion potentiellement négative en lien avec moi et que personne ne me dit ce qui se passe… parfois je panique.

Voici pourquoi : au cours de ma vie, on m’a souvent engueulée pour des choses que je n’avais pas faites ni pensées ni dites, pour des raisons que je ne connaissais pas, ou selon une interprétation qui était entièrement hors de mon champ de compréhension.

À force de me faire dire que j’étais méchante pour des raisons entièrement inconnues, j’ai fini par y croire. Le hic, c’est que j’ai beaucoup d’empathie, en fait, et que l’éventualité de faire du mal à quelqu’un me fait atrocement peur.

Alors voilà le cauchemar, qui est bel et bien digne de Kafka : accusée de torts dont je n’ai aucune connaissance, selon des prémisses entièrement subjectives et intangibles, je me suis débattue toute ma vie contre des fantômes.

Aussi, on m’a souvent mise de côté sans m’expliquer pourquoi.

Il en résulte que quand les gens ne me parlent pas des choses qui me concernent, quand le silence remplace la communication logistique, c’est très dur.

Aussi, comme beaucoup d’autistes, j’ai besoin de savoir ce qui se passe et de pouvoir m’y préparer. Plus les événements sont prévisibles et fiables, mieux je me sens. Mon cadre fonctionnel est stable. Les imprévus et les changements de dernière minute sont difficiles à gérer et demandent une période d’adaptation.

Quand ces deux facteurs se combinent, une impasse cognitive peut survenir.

Par exemple : il y a deux ans, mon père a décidé d’annuler la fête de Noël, seul rituel qui demeurait constant dans notre famille dysfonctionnelle, et de le remplacer par un souper à la fin de novembre. Sauf qu’au lieu de l’indiquer clairement dans le courriel d’invitation, il y a fait vaguement allusion. Dans les semaines qui ont suivi, ma sœur et moi continuions de parler de la fête du 23 décembre, que nous allions faire chez elle.

Fin novembre, alors que nous nous rendions au souper de famille, ma sœur m’a annoncé, 30 minutes avant, que ce repas serait notre fête de Noël. Elle-même était étonnée et l’avait appris le jour même. Elle non plus n’avait pas compris l’information peu claire de l’invitation.

Ces deux facteurs combinés de la désinformation (non-dit) et du changement majeur à un rituel familial important m’ont fait totalement perdre pied. Je ne comprenais pas qu’on ne m’ait pas informée, j’ai demandé, et quand la réponse a été vague et qu’on m’a accusée de mauvaise volonté et de n’avoir rien compris, j’ai pété une coche qui, à ce jour, fait en sorte que ma famille me tient à distance, malgré les excuses sincères que je leur ai exprimées le lendemain. Jamais il n’a été considéré admissible que ma détresse était légitime, bien au contraire. Depuis ce temps, je me suis fait engueuler ponctuellement, entre des périodes de silence presque absolu, malgré mes quelques tentatives de réconciliation.

Pourtant, j’ai bien tenté de leur expliquer les sensibilités et les aléas de l’autisme… mais j’ai la nette impression qu’ils n’ont pas compris. Qu’ils me jugent. Comme si le fait de savoir enfin les raisons de cet événement m’en rendait davantage blâmable.

Est-ce qu’on blâme Superman de perdre ses moyens quand on lui impose la kryptonite, hein? Non.

Quand le silence ou une communication incomplète se combine à des changements de planification incongrus…

Post-scriptum :

Il est important de comprendre qu’un état de crise découlant d’un problème de communication n’est pas une attaque, mais une réaction de défense, de panique… et aussi que les problèmes de communication qui ont pu causer cet état de crise, la plupart du temps, ne sont pas intentionnels.

À partir du moment où on peut se parler et clarifier, ajuster nos points de vue et comprendre ce qui se passe… ça permet de voir plus clair et de remettre les pieds sur terre, au-delà de la confusion et de l’anxiété. Mais ça prend de la bonne volonté, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit des deux côtés pour qu’on puisse s’expliquer dans le respect, sans pression, et ajuster en fonction de nos besoins mutuels pour la prochaine fois.

Quand il y a une ouverture pour discuter, pour faire le ménage, dans le respect, et ramener la paix, c’est génial. On peut mieux se comprendre, et avancer.

Les vêtements : image de soi, expression et sensation

Je suis une femme, je suis autiste.

Un aspect de l’autisme, pour les femmes, qui peut paraître loin de ce que l’on imagine toucher à l’autisme, c’est l’apparence. Certaines d’entre nous s’en soucient très peu. Je les envie! Pour d’autres, et c’est mon cas, avec la pression sociale qui est mise sur les femmes, l’anxiété de soi liée à l’habillement est parfois très forte, sans compter l’aspect sensoriel qui s’y combine. Alors je vais essayer d’expliquer.

J’ai beaucoup trop de vêtements.

Mais en fait… pas vraiment. Ma pile de vêtements est utile, c’est ma palette.

Chaque fois que je dois aborder le monde extérieur, les vêtements que je porte m’aident à m’armer. Il faut que les vêtements correspondent à comment je me sens, ce que je veux projeter, s’accorder avec mon intention et comment je souhaite être abordée.

Il peut être étonnant de constater à quel point les gens changent d’approche, selon ce que les gens dégagent par leur apparence. Et pour les femmes, ça peut être renversant.

Alors je choisis les vêtements avec soin. C’est un acte de créativité et de préparation à la scène. Il faut que je le «sente».

C’est peut-être un TOC. Ça ressemble à un TOC. Mais c’est plus que ça.

Il y a aussi l’aspect sensoriel. Un vêtement serré parfois m’indispose, parfois me réconforte. Un vêtement ample, lui, parfois me permet de bien me sentir, parfois me donne l’impression d’être «floue». Ai-je besoin d’air sur mes bras, ou ai-je envie d’être couverte? Un tissu doux est-il le bienvenu pour sa caresse, ou un vêtement rugueux pour sa stimulation sensorielle?

La recette est variable et, souvent, elle est très importante. J’ai des recettes préparées d’avance, que je répète pour gagner du temps et de l’assurance. À d’autres moments, je dois inventer une nouvelle composition en raison d’une activité nouvelle, d’un état physique particulier ou d’une combinaison de facteurs que j’arrive mal à déchiffrer et que l’essai de vêtements divers m’aide à cerner.

Un vêtement qui convient à la situation, tant pour l’image que pour l’armure, le confort ou le besoin d’expression, est un soutien à la fois sensoriel et cognitif. Un réconfort, un outil qui m’accompagnera dans mes activités et qui me permettra d’être bien.

Je réfléchissais à tout ça l’autre jour, en le vivant. Bonheur, j’avais de la compagnie : mon amoureux, avec qui je me sens très à l’aise, parfois peut-être même plus à l’aise qu’avec moi-même.

Comme il était là, et que j’étais à composer comment j’allais m’habiller, changeant de vêtements deux ou trois fois, je décrivais à haute voix cette drôle de compulsion et ses bases conscientes, explorant et précisant cette habitude que j’ai et sur laquelle je ne m’étais jamais penchée pour y réfléchir avec bienveillance.

Comme j’étais très détendue et à l’aise, ça m’étonnait encore plus que d’habitude. Alors j’ai décortiqué un peu le phénomène, avec mon amoureux qui m’écoutait, amusé et intéressé. C’est ce qui me permet d’écrire à ce sujet maintenant.

Au final, j’ai trouvé les vêtements qu’il me fallait pour être prête à sortir de la maison, qui me donnaient la «vitesse de décollage» nécessaire pour quitter la plate-forme.

C’est bien étrange tout ça, et difficile à comprendre, même pour moi. Et en le disant, et en l’écrivant, j’arrive à mieux comprendre.

Deux auteurs m’ont aussi aidée à mieux voir ce panorama, que je compte continuer d’explorer:

Chandima Rajapatirana: Traveler’s Tales (available by order at chammi@aol.com)
Vous pouvez aussi lire un article au sujet de Chandima, ou encore explorer le site de Wretches and Jabberers, un documentaire magnifique (il est possible de le commander sur DVD à partir du site, je vous le recommande).

Donna Williams: Exposure Anxiety – The Invisible Cage : An Exploration of Self-Protection Responses in the Autism Spectrum and Beyond.
Vous trouverez un extrait ici.

C’est en anglais, pardon.

Une autre piste que je promets d’explorer, c’est celle de la formation Saccade, développée par Brigitte Harrisson (saccade.ca). D’après ce que j’en sais, elle est axée, entre autres, sur ces obstacles qui chevauchent la ligne entre le soi et le monde.

Les commentaires sur votre expérience sont les bienvenus!

La vie autiste : idéal et réalité

Il y a une réalisation qui peut être un peu décourageante quand on est autiste et qu’on commence à fréquenter d’autres autistes : au début, on s’imagine que tout va être parfait et que tout le monde sera comme nous.

Puis, on réalise peu à peu que cette approche est un idéal… et on peut être déçu.

En effet, nous sommes tous différents, et il peut y avoir des tensions et des obstacles entre nous. Parfois on rencontre des gens qu’on n’aime pas ou qui ne nous aiment pas. Et puis les sensibilités neurologiques, les capacités de communication et les personnalités sont différentes d’une personne à l’autre, et tout ça peut créer des conflits et des incompatibilités. Comme dans n’importe quel groupe humain.

En fait, les problèmes possibles entre nous peuvent être nombreux, même s’ils ne sont pas toujours les mêmes qu’avec des non-autistes.

Par exemple, certains autistes ont une ouïe hypersensible, alors que d’autres ne contrôlent pas le volume de leur voix et peuvent parler ou rire très fort sans s’en rendre compte. Ou encore, certains autistes aiment le contact physique et donnent des câlins à tout le monde, alors que de nombreux autres n’aiment pas se faire toucher. Et puis la plupart des autistes disent ce qu’ils pensent, mais nous avons des personnalités bien différentes, et parfois ce qui semble correct à l’un peut blesser quelqu’un d’autre. Et ainsi de suite…

La différence quand nous sommes entre nous je crois, c’est qu’on peut mieux comprendre ce qui se passe, mieux communiquer et mieux se respecter que dans un monde non autiste où on perd ses repères. La communication franche permet ça, aussi.

En bref, les adaptations et les inconforts sont des éléments incontournables de la vie sociale, même entre autistes.

Je vous partage un article de Jim Sinclair sur le sujet, que j’espère pouvoir traduire bientôt. En attendant, voici le lien vers la version intégrale en anglais. C’est long, c’est riche et c’est intéressant. Bonne lecture!

Being Autistic Together

http://dsq-sds.org/article/view/1075/1248