Autisme Power ou âge de pierre?

Il y a, paraît-il, dans certains milieux psychiatriques une opinion parfois assez négative des adultes qui recherchent volontairement un diagnostic d’autisme… ils appellent ça «Autisme Power» ou quelque chose du genre, d’après ce qu’un ami m’a raconté (il a entendu l’expression de la bouche d’un psychiatre qui s’adressait à un collègue). C’est assez troublant, comme attitude.

C’est comme si l’émergence d’une culture et d’une solidarité autistes était vue sous un jour négatif. Alors que, on s’entend, le sentiment d’appartenance, c’est très sain. S’ils avaient le bien-être de leurs patients à cœur, ces professionnels ne seraient pas en train de médire à ce sujet. Quelle honte!

Parlant de honte, c’est en donnant un sens à notre vécu et en étant solidaires que la honte prend le bord et qu’on se voit pour les humains merveilleux que nous sommes. Comme tous les êtres humains.

Et si certains psychiatres pointent du doigt cette culture émergente et cette solidarité comme étant pathologiques ou autrement néfastes, ça en dit long sur leur vision de l’humanité.

Vous êtes spécialiste du domaine de l’autisme? Vous entendez vos collègues démoniser cette culture émergente et ce sens d’appartenance? Prononcez-vous, je vous en prie. Je suppose que si vous me lisez, c’est parce que cette solidarité vous intéresse. Elle est belle, elle est saine. Surtout, elle est utile et précieuse pour nous.

Et puis, en général, les adultes qui sont à la recherche d’un diagnostic d’autisme ne le font pas à cause d’un autre trouble… et même si c’était le cas, de les «tasser» avec mépris n’est pas dans leur intérêt. Bref.

Avant d’obtenir mon diagnostic, j’ai discuté en rigolant avec des amis du fait que j’avais peut-être un genre de syndrome de Münchhausen. Hum. Oui, on a bien ri. Mais mon dentiste, à qui j’ai fait part de mon rendez-vous de diagnostic à venir, surtout pour lui poser des questions pertinentes à la neurologie (je suis très peu sensible aux produits anesthésiants et je réagis de façon inhabituelle aux interventions, etc.), s’est tout de suite mis sur la défensive médicale, même s’il ne connaissait rien à l’autisme : «Ne pense pas à ça, tu vas te rendre anxieuse. En as-tu parlé à ton père?» J’étais estomaquée.

Pour qu’un adulte introverti cherche à trouver une validation de ses difficultés auprès d’un psychiatre ou d’un neuropsychologue, entendons-nous, il faut qu’il soit drôlement motivé. Ce n’est pas une partie de plaisir. Ces personnes bien renseignées à propos de l’autisme qui arrivent, après de nombreux obstacles et sans doute gauchement, pour en parler à un professionnel… quelle est la probabilité qu’ils le fassent pour d’autres raisons? Est-ce qu’on inventera une nouvelle pathologie pour expliquer leur quête? Le syndrome Autisme Power, peut-être?

D’ailleurs, ces difficultés d’accès au diagnostic ne sont pas vécues seulement par les adultes. Nombre de parents se renseignent avec application, lisent des livres, assistent à des conférences et demandent des avis autour d’eux aux professionnels de l’enseignement et du travail social à propos de leur enfant. Et souvent, quand ils arrivent chez le psychiatre, malgré la quasi-certitude que leur enfant est autiste… rien. On en appelle aux autres troubles apparents, on blâme les aptitudes parentales, on refuse.

Souvent, sur un simple coup d’œil ou une rencontre sommaire, l’adulte ou l’enfant est mis de côté ou renvoyé vers d’autres spécialisations, sans aucun autre test ni approfondissement du questionnement lié à l’autisme.

Ce qui semble clair quand on lit les innombrables témoignages à ce sujet, c’est que de nombreux psychiatres (et autres professionnels du domaine de la santé et du travail social) ne sont pas à jour en ce qui concerne l’autisme et ses manifestations.

Disons-le : se fier uniquement aux travaux de Kanner dans le domaine… c’est rester dans l’âge de pierre médical. Si je comprends bien le problème, il réside dans le fait qu’auparavant, le diagnostic d’autisme excluait toute possibilité que la personne puisse être fonctionnelle. Maintenant, on parle d’écarts significatifs par rapport à la norme, et qui causent des difficultés de fonctionnement, mais qui, à un niveau moins sévère, peuvent tout de même permettre à la personne autiste d’être relativement autonome et indépendante. Cette autonomie relative, qu’elle soit scolaire ou personnelle et professionnelle à l’âge adulte, n’exclut pourtant pas les difficultés et les besoins qui peuvent accompagner l’autisme et qui justifient l’obtention d’un diagnostic donnant accès aux services pertinents.

Lors du Forum québécois sur l’autisme de février dernier, la problématique du manque de formation des professionnels en ce qui concerne l’autisme a été soulevée*. Espérons que les recommandations qui ont suivi, à propos du transfert des connaissances vers les professionnels sur le terrain, seront appliquées rapidement. Le bien-être d’une partie de la population en dépend.

* Référence : 
Forum québécois sur le trouble du spectre de l'autisme
Québec, 11 et 12 févier 2016

4 thoughts on “Autisme Power ou âge de pierre?

  1. C’est un peu curieux que des médecins critiquent un certains “communautarisme”, alors qu’ils font eux-même parti d’une “confrérie” très fermée… Ils “projettent” peut-être les aspects les plus néfastes de leur communauté sur celle des autistes?!!? 😛

    • «Ma gang est meilleure que ta gang, donc je trouve à ta gang de graves défauts pour justifier le mépris»? Hé hé. Peut-être, en effet.
      Venant de psychiatres, on voudrait espérer le contraire. (Allez hop, tous en psychanalyse pour explorer cette attitude phallocentrique! 😛 )

  2. Pensez vous qu’il se puisse, (c’est ce qui m’est venu en lisant), que ces médecins, avec leur EGO adoré, prennent très mal le fait que les personnes avec Autisme s’auto-diagnostiquent, notamment grâce à des articles, conférences, émissions, livres venant de pays plus développés en la matière ? Que nos médecin en fait se sentent un peu inutiles, vexés de ne pas avoir trouvé les premiers, au point de rejeter l’idée en bloc, et de critiquer ce mouvement nouveau ?

    • Oui, certainement! Belle analyse, merci.

      Voici une notion apparentée que j’ai apprise bien tard : les gens n’aiment pas qu’on envahisse leur champ de compétence. Ego et territorialité, oui mais aussi prestige et investissement : sans les procédures, les courses à obstacles académiques et exploits professionnels (cérémonies, publications et honneurs de toutes sortes), comment une personne autodidacte peut-elle *oser* prétendre connaître quoi que ce soit? Ça semble impossible, et surtout, d’une arrogance insultante! Puis, le doute s’installe: comme c’est impossible, cette personne a probablement un trouble de personnalité ou une tendance schizoïde etc. Et le biais de conformation s’installe.

      Bref, comme une amie non autiste me l’écrivait il y a quelque temps, dans le domaine de l’autisme, comme les connaissances évoluent à grande vitesse, l’humilité s’impose. Ce qui n’est pas donné à tous ceux qui sont en position de pouvoir…

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